Dans les jardins de Biovès Le corso se prépare On sertit des mandarines et des citrons Dessine des tapis On illustre des monuments et des chars
Jambes fines Haut gainées de cuir Talons aiguilles Le trottoir est semé de confettis Saint Michel est sur la colline Saint-Jean Cocteau au bastion Orphée à la mairie Cherchant son Eurydice
Verticales Ocres jaunes Ocres rouges La mer comme une bannière Bleu de lin brodé d’argent Les mâts qui dodelinent Les cris des mouettes rieuses Elles agitent leurs mouchoirs Sur la Promenade du Soleil
Façades horizontales des hôtels des palais des résidences Blanches Escaliers et corniches Persiennes vertes Persiennes grises Les cœurs des palmiers sont des bourses d’or Écharpes de neige Aux pentes des montagnes Et cent trente-deux- agences immobilières Un casino Comme une pâtisserie
INTERPELLATION Que savez-vous de nous ? Gens de transhumances qui, chez nous, avez dressé toiture Que savez-vous de notre clan et de ses coutumes ? Aux rythmes du calendrier des marées Vous ouvrez vos persiennes et vos paupières Aux jours d’équinoxe et de syzygie Nous sommes gens de toutes saisons Nous voyons venir les grands vols des vanneaux huppés Et partir les bernaches cravants Nous sommes ceux qui remâchent leurs mots Au pied du phare Avec leurs souvenirs …
AUTOMNE LA SAURINE Louanges et célébrations Toutes grâces rendues Et sacrifice pour le rite Un taureau noir à l’autel de Pomone Du sang sur tout bourgeon de salicorne Et sang aux miroirs du ciel comme draps étendus Draps de lavandières Y passent oiseaux et nuages Franges de genestrolle et de curcumine Par flaques ou par semis étoilés Fleur de soufre à mécher le tonneau des vendanges Chyle suspect aux anciens marais salants Odeur femelle de l’argile bleue Plumetis, panaches des roseaux dans les étiers Un pré soigneusement étrillé, peigné Toison rase finement crêpée, couleur de noisette Prêt à recevoir le grain Flûte d’un courlis sur deux tons, l’un bref, l’autre prolongé Le tremble laisse frémir son feuillage argenté comme sequins de Bohème Tamaris vert- bouteille, mais, sur une branche on distingue encore une buée d’un vieux rose Ah ! D’où me vient cette chanson douce ? Cliquetis de crémaillère à la varaigne Lent et régulier Silencieuse, la nage du myocastor à l’aigu de son angle Ample robe plissée, de brocart brodé d’or Cachemires et soies Couronnes Dents-de-lion comme florins de Hollande éparpillés Et l’écharpe d’hermine flotte sur l’horizon violet Longues méditations de l’aigrette garzette et du héron cendré Deux cygnes vannaient à grands coups d’ailes sifflantes, vannaient le vent Vannaient l’espace et le temps Ah ! Qui oublierait le goût du fenouil sur la langue ?
LA GRAND’ PLAGE Nous avions telle envie d’une longue marche sur la plage Courbe douce d’une hanche Sans un rocher Un grand pin mort tend ses moignons écorcés Dunes éboulées Les coupons de soie, l’un après l’autre, se déroulent Brisant à grand fracas sur la grève Le désir surgit alors vers le Nord Le vent nous y poussait Le vent, le vent et le goût du sel sur nos lèvres Trio de mouettes emportées Chiffonnées L’une d’elles eut un cri désespéré Le sable avait séché et s’était soulevé Nous allions, chose étrange Sur un sol dur invisible à nos yeux Nos jambes traversant un tapis volant plus rapide que nous De cristaux, qui criblaient nos mollets Un buisson nous courut après Buisson d’épinette ou de prunellier Roulant, bondissant Pressé Filant, lui aussi vers le Nord La marée devait monter Dans un bouillonnement de lumière L’océan nous jetait à la figure Ses flocons d’écume Un chalutier ahanait vers le port Vers le Nord
L’ÉTÉ Plus vives nos plages aux entractes du théâtre d’ombres Plus longues farandoles sur le sable et sur la mer Plus serrés les cortèges sur les routes et sur les chemins Des oripeaux montent aux mâts La marée étale ses colifichets Les demi-dieux descendent sur la terre J’y consens de bonne grâce Mais qu’on me laisse ma place sur le banc du quai D’où je regarde les bateaux sortir et entrer
Le piano sur la plage Plage Plage longue Éblouie de lumière Un piano ... Il avait abattu ses voiles et son mât Longue longue longue plage Sable clair Un ruban rouge mince de goémons mouillés Galbe de l’épaule Ou du creux des reins Et le piano ... La mer froissait ses coupons de soie Langue d’océan douce douce Pas un rocher Chevelures des vagues bouclées Et le piano Le piano chanta sur la plage Le piano chanta Les mouettes rieuses rieuses rieuses Les oiseaux fusaient En gerbes En bouquets Claquements d’étendards Murmures sur le sable Chansons des flots Ricochets Reflets de jades opales améthystes et saphirs Jubilation du piano sur la plage Plage longue longue douce Courbe de l’épaule et du creux des reins La mer froissait ses coupons de soie Bécasseaux guirlandes mouvantes farandoles de joie Et le piano ... D’où venu ? ... Je l’ai vu se poser sur le sable C’était l’aurore Il repliait ses ailes ...
HIVER LES OIES SAUVAGES Les oies sont apparues ce matin D'un coup de baguette magique Elles flottent sur l'eau Comme une évidence Tout un peuple étrange Aux limites de l'estran D'où venues par milliers Sur l'aile du vent ? Uniforme sombre, tête noire Flancs rayés de gris et la culotte blanche Elles se moquent superbement Qu'on les dise bernaches ou cravants Peuple étrange à nos frontières Voix de gorge Tout un peuple assemblé Autre langage, autres manières D'une vague à l'autre doucement ballotté Sans insignes et sans grimoires Ce peuple ne dit pas les noms de ses dieux Il vit à nos marges Depuis la nuit des temps Peuple indifférent Énigmatique Peuple sans stèles Sans traces et sans vestiges.
PRINTEMPS Nous allions par les sentiers Gloire des fleurs de moutarde sauvage Une cane claudique sur le tasselier Cinq petits canetons à la file Résurrection des soleils et des saints Plus de maudits sur la terre La feuille de menthe entre les dents Gloire aussi et encensement des grappes de fleurs d’acacias Le miel des abeilles, Ah ! Passez, passez sous les yeuses sombres Le feuillage est lavé Tapis d’aiguilles des pins maritimes Sables noirâtres fouillés par une laie et ses marcassins La tourterelle roucoule La mauviette tire-lire Le geai tire un trait Ah ! Le sifflement du vent dans les grands pins ! Et les cœurs qui battent au rythme de la mer ! Parlerons-nous des vignes ? Aux banquets des vendangeurs, nul ne chante Les fouloirs sont mécaniques Cherchez les lambrusques dans les friches Cueillez le jasmin au bord du chemin Tel qui soupesait la grappe au soleil A vu partir son fils et sa fille Il attend l’été prochain Pour voir ses petits-enfants De vos aires plus vastes, nous ne savons que peu de choses Mais que connaissez-vous de nos lentes couvaisons ? L’œuf d’or du pluvier …
DRESDE B 17 BOMBARDIERS CENT TRENTE-CINQ MILLE MORTS
SIX AOÛT MILLE NEUF CENT QUARANTE-CINQ
B 29 QUATRE MILLE CINQ CENTS KILOGRAMMES LITTLE BOY
NEUF AOÛT MILLE NEUF CENT QUARANTE-CINQ B 29 CINQ TONNES FATMAN
ENOLA GAY ÉCLAIRS À SIX CENTS MÈTRES D’ALTITUDE SIX MILLE DEGRÉS CENTIGRADES SIX AOÛT MILLE NEUF CENT QUARANTE-CINQ HUIT HEURES QUINZE DU MATIN B 29 SUPERFORTERESSE
BOCKSCAR CINQ CENTS MÈTRES D’ALTITUDE SIX MILLE DEGRÉS CENTIGRADES NEUF AOÛT MILLE NEUF CENT QUARANTE-CINQ ONZE HEURES ET DEUX MINUTES B 29
HIROSHIMA DÉSINTÉGRÉE DANS UN RAYON DE TROIS KILOMÈTRES
NAGASAKI À QUATRE KILOMÈTRES DE LÀ S’ENFLAMMENT LES NAVIRES LE SOUFFLE DE LA BOMBE SE PROPAGE À MILLE KILOMÈTRES À L’HEURE
HIROSHIMA SOIXANTE-DEUX MILLE BÂTIMENTS DÉTRUITS VINGT-CINQ MILLE MORTS OU SOIXANTE-DIX MILLE QUI SAURA ? NAGASAKI DEUX MILLE MAISONS SOUFFLÉES SOIXANTE- QUINZE MILLE MORTS OU VINGT MILLE QUI LES COMPTERA ? DRESDE TRENTE-CINQ MILLE MORTS À L’HEURE DE COUCHER LES ENFANTS OU TROIS CENT CINQUANTE MILLE QUI LES DÉNOMBRERA ?
B 17 B 29 B 29 BOMBARDIERS LANCASTER
1937 Nankin DEUX CENT MILLE
1945 CENDRES SOUS LES FOURS SIX MILLIONS ?
1979 KANPUCHEA DÉMOCRATIQUE UN MILLION ET DEMI
Ô MA BIEN AIMÉE ! VOICI QU’UN PETIT ENFANT NOUS EST NÉ…